Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats
En octobre 2020, l’Américaine Jennifer Doudna et la Française Emmanuelle Charpentier ont reçu le prix Nobel de chimie.
Si ce n'était pas déjà le cas, cette période trouble et cette pandémie devraient nous convaincre que nous ne sommes pas armés contre toutes les attaques virales.
Notre système immunitaire peut être mis à rude épreuve et même si à titre personnel nous sommes protégés, nos enfants sont obligés de se faire vacciner. Notre immunité n'est pas génétiquement transmissible à nos petites têtes blondes.
Pourtant à la grande surprise des biologistes, début des années 2000, on s'est aperçu que certaines bactéries véhiculent dans leur génome des séquences d'ADN de virus et que ces dernières sont donc transmises de génération en génération. Ces petites séquences virales sont encadrées par des balises qui permettent de les identifier en tant que telles. Ces balises sont des petites séquences d'ADN qui se répètent à chaque fois qu'un bout de nouveau virus est stocké dans la mémoire génétique de la bactérie.
Mais pourquoi ces bactéries conservent-elles ces bouts de virus, à quoi servent-ils et comment sont-ils exploités ?
Eh bien, ces morceaux de virus sont des espèces de QR codes qui permettent à la bactérie de référencer un virus. Si la bactérie est en contact avec un virus, elle en garde une trace, et si elle entre de nouveau en contact avec ce même virus elle est très rapidement capable de l'identifier et de réagir.
Mais comment réagit-elle ?
Eh bien, la bactérie s'appuie sur le mécanisme habituel de la transcription génétique. A partir du bout d'ADN du virus qu'elle a stocké, la bactérie produit un brin d'ARN messager. Ce brin d'ARN est ensuite récupéré par une enzyme - l'enzyme CAS9 - qui à partir de cette empreinte peut identifier le virus. Elle confronte le brin d'ARN qu'elle transporte au bout d'ADN correspondant du virus et elle le découpe. L'effet est sans appel, le virus est tué. L'enzyme est en quelque-sorte un ciseau génétique.
La bactérie a développé un système immunitaire spécifique qu'elle peut transmettre à ses descendants.
Utilisation du principe et prix Nobel.
Ce principe a été appliqué au domaine de la thérapie génique afin de remplacer un gène défectueux. Il suffit de fournir à l'enzyme Cas9 le brin d'ARN qui correspond au bout d'ADN que l'on veut isoler. L'enzyme va alors aller découper le morceau d'ADN en question. Reste à injecter dans le noyau de la cellule le morceau d'ADN visant à remplacer la partie défectueuse. La substitution se fait alors naturellement suivant le mécanisme que la cellule utilise déjà lors des recombinaisons homologues.
Espoir, dérive et risque
Si cette technique constitue un énorme progrès au niveau de la thérapie génique, comme pour toute nouvelle découverte sa mauvaise utilisation peut conduire au pire. Nul doute que l'on pourra très certainement soigner des maladies que l'on ne sait pas traiter aujourd’hui, produire des vaccins plus vite, éviter des tests pharmaceutiques sur les animaux, éviter certains effets collatéraux des thérapies actuelles et bien d'autres avancées encore, en médecine comme en agriculture.
Pourquoi pas, modifier le génome des moustiques pour éviter la transmission de la malaria qui fait plus de 650 000 morts par an.
Mais dans un domaine aussi sensible, et avec la facilité de mise en oeuvre d'un tel procédé, les questions éthiques doivent être rapidement abordées. Outre la problématique des OGM, on voit vite pointer le spectre de l’eugénisme. Si on intervient sur des cellules embryonnaires humaines, on peut modifier le patrimoine génétique.
Afin de ne pas franchir la ligne jaune, il convient de débattre, d'encadrer et de légiférer sur les utilisations de cette découverte. Mieux vaudrait ne pas trop tarder ...
La Chine procède déjà à des essais cliniques. En 2018, l'article 'Naissance de deux jumelles après l’édition du génome pour la résistance au VIH' en est la preuve. L’affaire des « bébés CRISPR »
Les Etats-unis ne sont pas en manque non plus : les NIH ont consulté dès 2016 le conseil éthique américain pour lancer une édition du génome humain, Sean Parker (Napster, Facebook, ...) assurant de son coté le financement d'un programme de lutte contre le cancer. Mais les Etats-Unis n'ont pas officiellement lancé de travaux sur des cellules embryonnaires.
Pour ceux qui veulent en savoir un peu plus ...
Les balises de début et de fin permettent de délimiter le morceau d'ADN du virus, mais elles participent également à la construction du brin d'ARN qui sera pris en charge par l'enzyme Cas9. La transcription de chacune de ces balises donne des séquences d'ARN complémentaires. Cette complémentarité permet de refermer le brin d'ARN - comme un zip - et d’enserrer dans une épingle l'information correspondant au virus.
Les balises de début et fin forment des palindromes d'où l'acronyme Crispr .
Glossaire
• Chromosome : Le genre humain a 23 paires de chromosomes homologues. Dans chaque paire, un chromosome vient de la mère et l’autre du père. Dans un caryotype, il y a 22 paires de chromosomes autosomes (non sexuels) et une paire de chromosomes sexuels. Chez les hommes les chromosomes sexuels X et Y sont homologues, alors que chez les femmes ce sont les deux chromosomes X.
• ADN : Un gène est un petit bout de chromosome et il est porté sur 2 brins d'ADN, chaque brin étant un assemblage de 4 bases notées A, T, G, C. Les 2 brins d'ADN sont complémentaires. La même information est codée sur chaque brin avec des bases différentes. La base G d'un brin correspond à la base C de l'autre brin. Idem pour les bases A et T. L'ADN de chaque individu possède plus de 3 milliards de paires de bases.
• ARN : La transcription est l’opération chargée de récupérer l’information d'un gène. Elle se fait par recopie des données sur un brin d'ARN. Le brin est un assemblage de 4 bases notées A, U, G, C. La base U remplace la base T de l'ADN.
• Recombinaison homologue : C'est un des processus vitaux de la gestion du patrimoine génétique. Elle permet notamment de créer de la diversité génétique en brassant - crossing over - les gènes provenant des chromosomes parentaux. Un morceau d'ADN vient remplacer un autre morceau d'ADN homologue.
• Thérapie génique ou génothérapie : Stratégie thérapeutique qui consiste à faire pénétrer des gènes dans les cellules ou les tissus d'un individu pour traiter une maladie.
• Eugénisme : Ensemble des méthodes et pratiques visant à sélectionner les individus d'une population en se basant sur leur patrimoine génétique et à éliminer les individus n'entrant pas dans un cadre de sélection prédéfini.
• NIH : National Institutes of Health. Institutions gouvernementales des États-Unis qui s'occupent de la recherche médicale et biomédicale.
• Edition génomique ou modification localisée de séquence génomique : Ce terme regroupe un ensemble de techniques de manipulation du génome visant à la modification du matériel et donc de l'information génétique.
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