"La seule façon de découvrir les limites du possible, c'est de s'aventurer un peu au-delà, dans l'impossible."
Arthur C. Clarke - Auteur SF
Ce billet fait suite à celui dans lequel j'ai présenté ce qu'était un opérateur hermitique.
Nous avions mis en évidence que pour une grandeur physique, il existe un type d'opérateur qui permet de référencer les différents états à valeur bien définie applicables à un système physique. Dit autrement, cet opérateur est un objet mathématique qui permet de décrire une observable, étant entendu qu'une observable peut être assimilée à une grandeur physique pertinente pour le système. Ainsi, les valeurs propres de chacun des états à valeur bien définie sont les résultats possibles des mesures de l'observable. Par ex, un fermion a deux états de spin distincts avec les valeurs propres +1/2 et -1/2.
Nous avions également vu que la valeur apparente d'une grandeur est arrêtée lors de la mesure et qu'elle correspond à la valeur de l'état propre ayant été retenu.
Je voudrais cependant compléter le sujet en abordant la compatibilité des observables.🧐
Mesure non discriminante
La MQ n'interdit pas à ce que certains états propres de l'observable prennent la même valeur. Comme nous l'avons déjà dit, lors de la mesure l'observateur va récupérer une valeur propre, mais si cette valeur est applicable à plusieurs états on dit alors qu'elle est dégénérée.
La mesure va donc retourner une valeur qui si elle est dégénérée va forcer le système à se positionner dans un état combiné et les états propres de cette combinaison auront tous la même valeur, valeur équivalente à celle retournée par la mesure. Si la valeur est dégénérée, la mesure ne permet pas de discriminer l'état du système.
Prenons un exemple …
Nous allons utiliser la grandeur G. Pour cette observable, l'opérateur Ĝ permet de dresser la liste des états avec les valeurs propres applicables au système, dans notre exemple les états propres suivants {|g₁⟩,|g₂⟩,|g₃⟩,|g₄⟩}
• Ĝ|g₁⟩ = g₁ |g₁⟩
• Ĝ|g₂⟩ = g₂ |g₂⟩
• Ĝ|g₃⟩ = g₂ |g₃⟩
• Ĝ|g₄⟩ = g₄ |g₄⟩
On voit que les deux états |g₂⟩ et |g₃⟩ ont la même valeur. La valeur g₂ est dite dégénérée.
De par le principe de combinaison, avant la mesure de G, tout état du système peut s'écrire sous la forme
|Ψ⟩ = α₁|g₁⟩ + α₂|g₂⟩ + α₃|g₃⟩ + α₄|g₄⟩
La mesure de la grandeur G ne peut donner comme résultat qu’une des valeurs propres de l’observable Ĝ.
Après la mesure de G, on peut à juste titre, se poser les questions >>>
-Quel est l'état du système si la valeur mesurée est g₂?
Réponse |Ψ⟩ = α₂|g₂⟩ + α₃|g₃⟩
>> On voit que la mesure retourne un état combiné.
-Quelle est la probabilité de récupérer la valeur g₂?
Réponse P(g₂) = |⟨g₂|Ψ⟩|² + |⟨g₃|Ψ⟩|² = |α₂|² + |α₃|² (sous réserve que les états soient normés)
Mesure d'une autre grandeur
Nous venons de constater qu'une seule grandeur physique n'est pas toujours suffisante pour discriminer les états d'un système. On peut donc utiliser et mesurer une - voire plusieurs - autre grandeur qui devra être 'compatible' - d'où le propos de ce billet - afin de lever toute ambiguïté sur l'état du système.*
Prenons encore un exemple …
En complément de la grandeur G, nous allons prendre la grandeur compatible E. Pour cette observable, l'opérateur Ê permet de dresser la liste des états avec les valeurs propres applicables au système, dans notre exemple les états propres suivants {|e₁⟩,|g₂⟩,|g₃⟩,|e₄⟩}
• Ê|e₁⟩ = e₁ |e₁⟩
• Ê|g₂⟩ = e₂ |g₂⟩
• Ê|g₃⟩ = e₃ |g₃⟩
• Ê|e₄⟩ = e₄ |e₄⟩
🎭 Les deux états |g₂⟩ et |g₃⟩ sont communs aux grandeurs G et E, et on voit que pour la grandeur E, ils ont des valeurs distinctes e₂ et e₃.
De par le principe de combinaison, avant la mesure de E, tout état du système peut s'écrire sous la forme
|Ψ⟩ = ß₁|e₁⟩ + ß₂|g₂⟩ + ß₃|g₃⟩ + ß₄|e₄⟩
Pour différencier les états |g₂⟩ et |g₃⟩, on peut donc compléter la mesure de G avec celle de E.
• Ĝ|g₂⟩ ⊗ Ê|g₂⟩ ☞ g₂ |g₂⟩ ⊗ e₂ |g₂⟩
• Ĝ|g₃⟩ ⊗ Ê|g₃⟩ ☞ g₂ |g₃⟩ ⊗ e₃ |g₃⟩
Questions, après la mesure de G et de E >>>
-Quel est l'état du système si les 2 valeurs mesurées sont g₂ et e₂?
Réponse |Ψ⟩ = (α₂.ß₂)|g₂⟩
-Quelle est la probabilité de récupérer les 2 valeurs g₂ et e₂?
Réponse P(g₂).P(e₂) = |⟨g¹₂|Ψ⟩.⟨g²₂|Ψ⟩|² = |α₂.ß₂|² (sous réserve que les états soient normés) **
* Les observables associées à ces grandeurs doivent former un ECOC (Ensemble Complet d’Observables qui Commutent).
Pour cela, il faut que :
- l'ensemble des observables permette de décrire l'état du système de manière unique et complète au travers d'une combinaison commune d'états à valeur bien définie.
- les observables commutent 2 à 2 afin que l'ordre des mesures n'ait pas d'incidence. La mesure d’une observable ne doit pas venir perturber la mesure des autres observables.
** Les bras ⟨g¹₂| et ⟨g²₂| ont un indice qui donne le niveau de dégénérescence permettant de différencier l'observable.
Compatibilité des observables
Deux observables sont compatibles s'il est possible de mesurer simultanément et aussi précisément que possible l'une et l'autre des deux grandeurs.
Dans le cas contraire, les observables sont dites incompatibles, comme la vitesse et la position d'une particule. Si la vitesse d'une particule est arrêtée alors sa position ne l’est pas et inversement si sa position est arrêtée alors sa vitesse ne l’est pas. Cet exemple illustre d'ailleurs souvent le principe d'indétermination énoncé par Heisenberg.
Si on revient aux fondamentaux de la physique quantique, cela veut tout simplement dire que lorsque la première grandeur physique est dans un état qui a une valeur bien définie, alors la deuxième est dans un état qui n'en a pas. Ce n'est donc pas un problème lié à notre incapacité à effectuer une mesure aussi précise soit-elle, c'est un problème plus profond lié à la nature même des grandeurs à mesurer.
Pour discriminer les états à valeur dégénérée, on ne peut compléter la mesure de l'observable qu'avec celles d'observables compatibles.
Vitesse et position sont des observables non compatibles
Etienne Parizot au tableau
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