Dans la vie, il y a 10 sortes de personnes,
ceux qui savent compter en binaire et ceux qui ne savent pas.
Le monde quantique
La mécanique quantique est d'abord et avant tout une théorie probabiliste qui décrit un monde étrange dans lequel nous découvrons que la matière qui constitue notre Univers, et qui semble pourtant si bien localisée dans l'espace, est en fait étendue quelque part. Les repères comme ici et là-bas, qui sont si cohérents à notre échelle, perdent leur signification dès que nous franchissons les limites du monde atomique. Un monde que l'on arrive à théoriser mais que fondamentalement on a beaucoup de mal à appréhender. N'empêche qu'à ce jour aucune expérience n'a jamais mis en défaut les prévisions de la théorie, aussi surprenantes soient-elles.
Les physiciens des particules travaillent dans ce nanomonde. Actuellement, les techniciens du tout-petit ont encore des difficultés à exploiter les propriétés des particules décrites par la quantique. L'échelle entre le macroscopique et le microscopique n'est pas la même et les effets quantiques s'estompent dès que la matière s'agrège et les particules interagissent entre elles.
Elles sont victimes d'un "phénomène de décohérence" comme disent les physiciens.
Mais concrètement …
Au niveau des sciences et techniques, la quantique s'invite désormais dans le monde du traitement de l'information. A présent, des équipes informatiques codent avec des langages destinés à des ordinateurs qui n'existent pas. Les ordinateurs quantiques.
Un ordinateur dit "classique" travaille avec des unités élémentaires - binary digit - qui à un instant donné ne peuvent prendre qu'une valeur bien déterminée. Par exemple la valeur '0', sachant qu'à tout moment on peut changer l’état du bit et lui appliquer la valeur '1'.
Un ordinateur dit "quantique" travaille quant à lui avec des unités élémentaires - qbit : quantum bit - qui n’ont pas de valeur bien déterminée. Tant qu'aucune mesure n'a été effectuée pour le "forcer" à prendre une valeur, le qbit est dans un état sans valeur bien définie. Il est dans un état qui est une combinaison des états '0' et '1' *. On dit qu'il est dans une combinaison ou superposition d'états. Ce n'est que si on le mesure qu'il se transforme et choisit de se positionner dans l'état '0' ou '1'
* Le qbit est projeté dans un espace d'états à deux dimensions. Par exemple les états de polarisation (vertical-horizontal) pour un photon ou encore les états de spin (haut-bas) pour un électron.
Mais si on oublie tout ce charabia de physiciens et d'informaticiens, on peut se demander où se trouve l'intérêt de l'ordinateur quantique ?
Une analogie est couramment utilisée pour différencier les deux approches. Imaginez une salle de spectacle dans laquelle vous cherchez à identifier les personnes ayant les yeux bleus et les cheveux blonds.
• Une 1ere approche consiste à trouver les spectateurs qui répondent à ces deux critères. Pour cela, il suffit de les examiner les uns après les autres.
• Une 2eme approche plus rapide et plus simple consiste à demander à ce que les spectateurs aux yeux bleus et cheveux blonds lèvent la main.
Rapporté au monde de l’informatique :
• L’ordinateur "classique" va traiter le problème de manière itérative et exécuter autant d'instructions que de valeurs à traiter,
• L’ordinateur "quantique" va quant à lui traiter le problème de manière holistique et finalement n'exécuter qu'une seule instruction.
Cette bizarrerie ouvre des perspectives insoupçonnées. Appliquée à certains problèmes, la force de calcul des ordinateurs "quantiques" pourrait très largement dépasser celle de nos ordinateurs "classiques" même les plus puissants.
A ce propos, la suprématie quantique, concept né dans les années 90, désigne le moment où pour exécuter une tâche bien particulière, on pourra prouver la supériorité d’un ordinateur quantique sur un ordinateur classique. Trente ans après la naissance de ce concept, les ingénieurs de Google, aidés par la Nasa et par quelques autres labos, affirment avoir réussi à développer un processeur capable de réaliser un calcul en 200 secondes quand le plus avancé des ordinateurs actuels aurait eu besoin de 10.000 ans. Bon restons mesuré, l'algorithme employé ne s'appliquera jamais à un quelconque cas d'usage. Le code utilisé n'avait d'autre utilité que d'attester la suprématie quantique.
A noter, une chose amusante.
Les composants électroniques étant de plus en plus petits, on commence à ressentir certains effets "quantiques" dans les ordinateurs "classiques".
Défis et perspectives
Dans les labos, les informaticiens et les physiciens des nano-sciences arrivent désormais à manipuler un petit nombre de bits quantiques et commencent à les conserver sur des temps qui même s'ils sont très courts, deviennent significatifs.
Cette puissance pourrait mettre à mal nos systèmes de sécurité informatique, en effet la sécurité actuelle repose sur le postulat que nos ordinateurs n'ont pas la puissance suffisante pour casser les clefs de sécurité.
Mais, dans les années 90, Peter Shor un mathématicien du MIT, développe un algorithme avec lequel il serait possible pour les ordinateurs dits quantiques de factoriser n’importe quel nombre, c'est-à-dire le décomposer en un produit de nombres premiers. Avec les moyens classiques, ce calcul est très long, bien au delà de l'échelle de la vie humaine. A aujourd'hui, cette factorisation assure la sécurité de la cryptographie, mais avec les moyens quantiques, décrypter un message dit 'sécurisé' deviendrait un jeu d'enfant. Si tel était le cas, les certificats numériques ne seraient plus qu'un bon vieux souvenir.
Mais le monde quantique apportera certainement la clé au problème dont il est lui-même à l'origine. En effet, la cryptographie quantique commence à pointer le bout de son nez. Un des domaines de cette discipline porte sur la distribution quantique de clés. Cette technique n’évite pas à ce qu’un espion écoute l’échange entre un émetteur et un récepteur, mais elle permet de savoir de manière certaine si l’échange a été écouté ou non.
Plusieurs solutions sont actuellement disponibles, et notamment celle qui exploite une autre bizarrerie de la quantique : l'intrication. Cette propriété s'applique à un système dit "intriqué". C'est un système composé de deux particules qui se retrouvent avec des états qui sont corrélés. Pour certains états, la corrélation peut même être totale, c'est à dire que si l'on mesure l'état d'une particule, on est sûr du résultat de la mesure sur l'autre et cela où qu'elle se trouve.
Pour sûr, l’ordinateur quantique reste encore à construire, et ses domaines d'application restent à découvrir.
Tout l'enjeu réside dans la capacité qu’auront les ordinateurs quantiques à traiter un nombre suffisant de qbits et les conserver assez longtemps pour pouvoir les exploiter.
Pour finir, le monde quantique est surprenant, incompréhensible quant à ses fondements, mais il est passionnant. Je ne peux que vous encourager à être curieux. Soyez quantique :)
Aurons nous un jour des ordinateurs quantiques ?
(source - France Culture)
Pour ceux qui veulent en savoir un peu plus …
A l'instar de ce qui est fait dans un ordinateur classique, ce qui entre et ce qui sort d'un ordinateur quantique doit être identifiable. L'information qui entre et qui sort, ne peut s'appuyer que sur une combinaison de qbits qui se trouvent dans des états "0" ou "1" car ce sont les seuls états distinguables par les modestes observateurs que nous sommes. Ces états sont donc les mêmes que ceux qui sont utilisés par un ordinateur classique.
Quel intérêt alors de développer un ordinateur quantique, me direz-vous ? L'information entrante et sortante est sous la même forme, et en plus les états quantiques sont très difficiles à conserver et à manipuler. Au premier abord, l'ordinateur quantique semble plutôt être une très mauvaise idée …
Avant tout, commençons par étudier les principaux composants d'un ordinateur quantique :
• Tout d'abord, un ou +sieurs registres quantiques chargés de réceptionner et manipuler l'information. Un registre permet de stocker une suite de qbits. Il sera plus ou moins grand en fonction du nombre de qbits que l'on veut/peut exploiter. Le principe de superposition permet de faire cohabiter un grand nombre de combinaisons dans un registre et pouvoir ainsi effectuer des opérations sur cet ensemble.
• Ensuite, les portes quantiques qui sont des dispositifs physiques agissant sur les qbits contenus dans un registre, à la fois pour l'initialiser et pour y effectuer des opérations de calcul. Les qbits traversent ces portes de manière successive en fonction des algorithmes à exécuter.
Par exemple, la porte Hadamard-Walsh transforme un état "0" ou "1" en un état superposé “0 et 1”. Elle est utilisée pour initialiser un registre quantique et ainsi générer une combinatoire de “2 puissance n” valeurs différentes.
• Enfin des dispositifs physiques de mesure de l’état des qbits qui vont permettent d’obtenir et restituer le résultat des calculs suite au passage des qbits dans les portes quantiques.
Pour revenir à l'intérêt de l'ordinateur quantique, il existe bel et bien, et vous l'aurez compris il réside dans la quantité d'information qui peut y être manipulée simultanément. Les qbits peuvent être dans des états superposés, ce qui offre au registre la possibilité de contenir une information démultipliée.
Un registre quantique peut de manière concomitante contenir tout ou partie des combinaisons possibles.
A un instant, si vous avez un registre de 3 bits, il ne pourra contenir qu'une seule combinaison de bits, par exemple "111" - soit 7 en base 2 - tandis qu'un registre de trois qbits pourra faire cohabiter toutes les combinaisons possibles de qbits - "000", "001", …, "111" - qui sont au nombre de 2³.
Pour traiter chacune des combinaisons, un ordinateur classique devra exécuter 8 instructions alors qu'un ordinateur quantique n'en aura besoin que d'une seule. La différence sera d'autant plus conséquente que la taille du registre sera importante, 1000 pour 10 qbits, 1 million pour 20 qbits, 1 milliard pour 30 qbits … "2 puissance n" pour n qbits.
En 1996, Lov Grover - un informaticien indo-américain - a établi un algorithme quantique permettant de rechercher un élément particulier dans une liste d’éléments non classés, un algorithme classique devant quant à lui balayer l'ensemble de la liste jusqu’à trouver le bon élément.
Pour finir et clore ce billet, l'ordinateur quantique présente quand même deux défauts majeurs :
1 - Le premier est lié à sa difficulté d'exploitation. Dans un registre, il faut préserver l'état quantique des qbits pendant la phase de calcul. Les effets de décohérence doivent être contenus. Il faut donc tenir compte des erreurs qui en découlent. Si au final, on veut limiter le risque d'erreur et récupérer un résultat des plus sûrs, il faut répéter les mêmes opérations, ce qui veut dire augmenter d'autant le nombre de qbits.
2 - Le second est lié à une limitation de son utilisation. A l'issue du calcul final, le résultat retourné doit réellement refléter l'état des qbits.
Nous avons vu qu'un registre quantique peut contenir simultanément plusieurs combinaisons, mais nous savons aussi que toute mesure force un système quantique à choisir une combinaison.
Avant la mesure, pour que le résultat du calcul soit exploitable, le contenu du registre ne doit donc correspondre qu'à une seule et unique combinaison, ce qui oblige chaque qbit a être dans un état '0 ou dans un état '1'.
Lors de leur restitution, les états de chacun des qbits du registre doivent avoir une valeur bien définie, ce qui contraint et limite les règles pouvant être implémentées dans un programme informatique. On ne peut pas coder n'importe comment et on ne peut pas tout coder. Le secret de l'algorithmique quantique consiste à ce que les calculs soient probants et que le résultat final soit identifiable à coup sûr. C'est la moindre des choses …
Si les ordinateurs quantiques sortent un jour des laboratoires, ils resteront très certainement cantonnés à l'exécution de traitements bien particuliers, en complément de nos vieux ordinateurs classiques … Aucun intérêt de recourir à un ordinateur quantique pour faire du traitement de texte.
Source CEA
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